Les paradoxes du calcul mental #1

Des études récentes, notamment celle du CEDRE , montre clairement que la proportion d’élèves en grande difficulté avec les nombres et les opérations est passée de 15% à 20% à la fin du collège en moins de 10 ans. Soyons clair, il y a un problème avec la relation aux nombres et aux opérations. Conséquence pour notre société, l’innumérisme est un phénomène en expansion.

L’académie des sciences avait publié un communiqué en 2012 intitulé « Combattre l’innumérisme ». Force est de constater que 4 ans plus tard, la situation s’est encore dégradée et que ce combat contre l’innumérisme ne fait que commencer. La note d’information n°25 d’août 2015 de la DEPP va dans le même sens que le rapport du CEDRE. La communauté mathématique doit s’interroger.

Que s’est-il passé ces dernières années pour que les résultats d’une partie de nos élèves baissent à ce point ?

Le CNESCO, dans les conclusions de sa récente conférence sur l’enseignement des nombres et du calcul  précise : Le calcul mental doit être privilégié par rapport au calcul posé (opération effectuée par écrit), dans l’ordre des apprentissages et dans le temps qui leur est respectivement consacré en classe. C’est très clair, le mental est présenté comme une étape essentielle avant le passage à l’écrit.

La problématique de l’enseignement du calcul

À l’issue de journées sur le calcul organisées par l’IREM de Nantes en 2015, Michèle Artigue résumait parfaitement :

« Dans cet exposé, je me suis intéressée à l’intelligence du calcul, arguant du fait que le calcul, dans la culture comme dans l’enseignement, souffre en mathématiques d’un discrédit totalement injustifié. Il ne constitue pas, selon la vision commune, la part noble des mathématiques mais plutôt une intendance qui soit suivre… mais malheureusement, souvent, ne suit pas, entraînant les lamentations des enseignants.
Dénué d’intelligence, le calcul est aussi souvent perçu comme quelque chose qui peut et doit s’apprendre mécaniquement : mémorisation, répétition, devenant les mots emblématiques de cet apprentissage. J’espère que le lecteur, à la lecture de ces quelques pages, se convaincra, s’il ne l’est déjà, de la richesse, de la beauté de ce monde du calcul, des trésors d’intelligence que les pratiques de calcul recèlent, et qu’enseignant ou formateur d’enseignants, il comprendra que faire aimer les mathématiques, c’est aussi faire aimer ce calcul sans lequel elles n’existeraient pas, sans lequel elles seraient impuissantes. Pour cela un équilibre doit être trouvé dans l’enseignement et l’apprentissage du calcul entre automatisation et raison, ses deux facettes indissociables. Ce n’est sans doute pas facile, nécessite de l’attention et de l’intelligence, nécessite de contrer une pente naturelle qui tend plutôt à faire glisser le calcul du côté des automatismes sans âme, mais c’est un défi que l’enseignement doit relever, de la maternelle à l’université  »

Que préconise l’institution pédagogique pour les mathématiques au collège depuis une dizaine d’années ?

La résolution de problèmes, que personne ne remet en question, mais aussi la mise en place des compétences avec le socle commun et la tâche complexe. Ces préconisations insistantes sur les compétences et la tâche complexe ont relégué au second plan la place du travail sur les nombres, les opérations et le calcul mental. Le discours de l’institution est au minimum ambigu car il laisse penser que le sens en mathématiques, et particulièrement dans le domaine des nombres et des opérations, ne se construit qu’avec des problèmes concrets, l’ombre de Pisa n’est pas très loin.
Le travail technique, l’importance de la mentalisation de la relation aux nombres, de la construction d’un répertoire numérique mental est trop rarement évoqué. Les tâches complexes et la mise en place du socle ont de toute évidence englouti une part trop importante de notre énergie, au détriment du registre mental. Il faut avoir une vision interdisciplinaire de la tâche complexe avec sa prise en charge par la technologie, la SVT et les sciences physiques. Le répertoire numérique de l’élève est d’ailleurs un outil indispensable pour ces matières. Et qui peut le mettre en place mieux que nous, professeurs de mathématiques ?
Autre paramètre important, la multiplication des tâches demandées aux professeurs ces dernières années, avec notamment la double évaluation chiffrée-compétence, incroyablement chronophage.
Il est indispensable de rééquilibrer le discours en tenant compte des études récentes (CEDRE, DEPP) et des préconisations du CNESCO sous peine de voir arriver de prochaines études nous annonçant une nouvelle progression de l’innumérisme.

Les bienfaits de la pratique régulière

Dans « Le calcul mental, entre sens et technique », Denis Butlen montre que la technique peut être productrice de sens des nombres et des opérations. D.Butlen met en évidence que des classes, dans lesquelles la pratique du calcul mental est régulière, obtiennent des résultats significativement supérieurs en résolution de problème. C’est un peu comme si la pratique régulière du calcul mental était créatrice de sens du nombre et des opérations. Comme le dit très bien Michèle Artigue, il ne devrait pas y avoir d’opposition entre sens et technique. Il y a complémentarité, les deux sont liés, les deux se nourrissent l’un de l’autre.
Pour véritablement rentrer dans une tâche complexe, l’élève a besoin de fondamentaux techniques, d’un répertoire numérique et opératoire. Il est étonnant de constater que cette pseudo-opposition entre sens et technique fasse débat en mathématiques alors que dans d’autres domaines comme par exemple, le sport ou la musique, la complémentarité entre sens, technique et répertoire est une évidence et surtout, ne fait pas débat. Peut-on imaginer un gymnaste sans, en amont, des heures d’entrainement technique producteur par la suite d’un sens artistique ? Peut-on imaginer la pratique d’un sport de ballon sans un travail technique et répétitif de maîtrise de gestes précis avec le ballon, producteur d’automatismes qui permettront de libérer l’esprit pour permettre au sportif d’être créateur de sens du jeu ? Peut-on imaginer l’apprentissage d’un instrument de musique sans des dizaines, des centaines d’heures d’un travail technique de répétition de gestes précis pour maîtriser l’instrument ?

Du verbal à l’écrit pour mieux apprendre

élève calculantIl est urgent de placer les pratiques mentales au cœur du processus d’apprentissage et comme l’écrit le CNESCO, en amont d’un travail écrit puis, par la suite, en parallèle. Ce travail mental va de pair avec le langage et la verbalisation des procédés, en lien avec la construction du sens des nombres et des opérations. Un travail écrit, donc visuel, doit accompagner en parallèle cette construction mentale et verbale de façon à construire le nombre dans la pluralité du triple code évoqué par Stanislas Dehaene. Cette complémentarité sollicite des zones distinctes du cerveau : la numérosité ou zone du sens du nombre, le verbal et l’auditif associés au mental et enfin le visuel et l’écriture des chiffres indo-arabes. Peut-être mettons-nous trop l’accent à l’école sur l’écrit au détriment du verbal et du mental ? De toute évidence, la construction du sens passe aussi par cette case verbal-auditif-mental et l’équilibre entre les trois dimensions du triple code est très certainement une clé pour tendre vers un enseignement des mathématiques pour tous.

Les études récentes de Stanislas Dehaene confortent de plus en plus la thèse qu’un problème complexe sera d’autant mieux résolu par un élève si, en amont, un travail d’automatisation de tâches mathématiques simples aura été réalisé. En clair, un répertoire riche en automatismes permet de libérer le cerveau, notamment la zone du cortex frontal, de contraintes élémentaires et donc de mieux se consacrer à des tâches cérébrales plus complexes. En fait, l’automatisation du calcul est fondamentale car, comme l’explique Stanislas Dehaene, le cortex frontal est une sorte de goulot d’étranglement du cerveau, à l’image d’un entonnoir et le libérer, lui permet de passer à d’autres tâches. Si l’élève a peu d’automatismes, il continuera à solliciter son cortex frontal pour des calculs simples et sera bloqué rapidement pour d’autres travaux.

Pour conclure

L’école et le collège sont les lieux où doivent se construire ces répertoires d’automatismes. La résolution de problèmes et de tâches complexes doit accompagner la construction de ce répertoire numérique et opératoire mais n’est en aucun cas la réponse à la grande difficulté en mathématiques d’un nombre croissant de nos élèves.

Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.