Les premiers nombres, les premières opérations – Un peu de théorie !

Observons de plus près les nombres et les opérations qui sont un peu au calcul ce que les lettres et les mots avec la syntaxe sont à une phrase.

Abstraits, les nombres ont de multiples facettes :

  • simple numéro si j’ai le dossard n°13,
  • lecture ordinale si j’ai fini 13ème de la course,
  • lecture cardinale si j’ai fini cette course dans un groupe de 13 coureurs.

Avec en ligne d’horizon le calcul mental, c’est l’aspect cardinal du nombre qui va nous intéresser.

Dans la longue construction du concept de nombres qui prend source avec la quantité et la manipulation d’objets et qui se termine avec le symbolisme et l’écriture, il y a une perte progressive de sens ou plus exactement un éloignement avec le concret. En effet, dans notre relation aux quantités, parmi les cinq sens, nous utilisons principalement le visuel, le tactile et l’auditif. Les interactions entre ces trois sens et les quantités se fondent puis petit à petit s’effacent pour laisser la place au nombre d’abord mental prolongé ensuite par les symboles à écrit.

Dénombrement par comptage et récitation de consigne numérique

Le dénombrement par comptage avec récitation de la comptine numérique se transmet de génération en génération. Derrière cette pratique rituelle se cache un vrai problème de sens : pourquoi le dernier mot prononcé lors du pointage du dernier objet définit la quantité d’objets de la collection ?

C’est le principe cardinal, difficile à comprendre pour un enfant de 3 ou 4 ans. Pour preuve, le nombre d’enfants qui, après avoir compté en pointant bien l’index « un, deux, trois, quatre », en réponse à la question « Alors, combien y a-t-il d’objets ? » répondent : « un, deux, trois, quatre » en recommençant le comptage.

Les années 70, apprentissage d’une chaîne de nombres

La réforme dite « des maths modernes » des années 1970 correspond à une rupture avec cette pratique du comptage. Sous l’influence des thèses de Piaget, les premiers enseignements numériques sont alors basés sur des principes de logique, d’inclusion des classes et de sériation des longueurs. Les techniques de dénombrement et ses liens avec le langage sont provisoirement mis entre parenthèses. Les premiers apprentissages numériques sont assez stables à l’école de Jules Ferry jusqu’à cette période des maths modernes.

La réforme des années 70, en imposant cette nouvelle approche du nombre basée sur la logique et déconnectée de sa dimension sociale numérique, a cassé ce lien. Pendant les deux décennies suivantes, le dénombrement avec utilisation de la comptine numérique a retrouvé progressivement une place. Les paramètres du langage et de l’environnement socio-culturel de l’enfant, quasi absents dans la réforme des maths modernes, sont alors considérés comme importants dans l’acquisition du concept de nombre.

Les années 80, dénombrer, comparer, modifier, partager

Les différents travaux de recherche des années 80 ont mis en évidence l’importance du dénombrement d’une collection puis d’activités de comparaison, de modification, de partage d’une collection.

R.Gellman et C.R.Gallistel ont défini cinq principes dans un dénombrement par comptage :

  • le principe d’ordre stable,
  • le principe de correspondance terme à terme,
  • le principe d’abstraction,
  • le principe d’indifférence de l’ordre,
  • le principe de cardinalité.

En pratique, ces cinq principes signifient que la comptine numérique doit être connue et toujours appliquée dans le bon ordre, chaque objet doit être compté une seule fois, l’ordre des objets pendant le comptage est sans importance, les objets comptés peuvent être de nature différente et le dernier nombre prononcé détermine la quantité d’objets comptés.

La connaissance de ces cinq principes permet en cas d’erreur dans le comptage, d’identifier plus facilement où se situent les problèmes de l’enfant. Il faut préciser que ces principes énoncés par Gellman sont sujets à controverse.

Des études récentes mettent l’accent sur l’importance des interactions avec le milieu socio-culturel de l’élève et insistent sur le caractère pluriel dans la construction du concept de nombres (cardinalité, ordinalité, numérotation, mesure, …) Une des difficultés majeures pour comprendre et donner du sens au principe de cardinalité réside dans l’acte même du comptage. En effet, l’enfant compte en pointant du doigt les objets les uns après les autres jusqu’au dernier objet. Or, quelque soit le dernier objet pointé dans la collection, le dernier nombre prononcé détermine le nombre d’objets de la collection. Pourquoi celui-là plus qu’un autre ? Pour l’enfant, il y a un risque réel de confusion entre le nombre et le numéro.

Le caractère rituel du dénombrement par comptage associé au plaisir qu’y prend l’enfant, peut masquer la réalité en donnant l’illusion de la maîtrise du concept de nombre alors que l’enfant ne construit que des numéros. Des études de K.Fuson ont montré ce risque de confusion notamment si la pratique est précoce et intensive.

Comment dépasser le stade du numéro lors de cette simple monstration de l’objet pendant l’énumération de la comptine numérique pour faire en sorte que le mot-nombre final prononcé soit un véritable nombre ?

Les travaux de Brissiaud et le rôle des collections témoins

Pour R.Brissiaud, l’enfant doit accorder une double signification au dernier mot-nombre prononcé de façon à accéder à un véritable dénombrement. Ce dernier doit à la fois, avoir le même statut que les autres mots-nombres et aussi signifier la quantité de toute la collection d’objets.

Deux idée pratiques et faciles à mettre en place permet de donner un sens visuel à cette cardinalité :

  • à partir d’un bel alignement de la collection, demander à l’enfant qui pointe les objets de les déplacer avec son index de façon à constituer un paquet d’objets. Cette simple action va permettre d’avoir une vision globale du cardinal. Il est important que l’enfant se fabrique des images mentales des nombres en parallèle du comptage,
  • demander à l’enfant de ne prononcer le nombre qui correspond à l’objet pointé qu’au moment où l’objet a été réellement déplacé et rapproché des autres objets déjà pointés et déplacés. L’idée est d’associer au mot-nombre prononcé une cardinalité visuelle et évolutive d’une petite collection d’objets qui se constitue objet après objet déplacé. De cette façon le nombre prononcé est plus facilement associé à la cardinalité de la collection dénombrée.

Brissiaud met en avant l’importance d’autres pratiques complémentaires au dénombrement par comptage comme l’utilisation de collections-témoins de façon à constituer des collections d’images mentales des nombres. Les doigts sont évidemment un parfait support naturel pour se fabriquer de telles collections-témoins. L’utilisation de dés, de cartes diversifie les images mentales du nombre. Cela enrichit et consolide la construction du concept de nombres. Il est important de varier les collections-témoins pour favoriser une vision plurielle du nombre, par exemple en n’utilisant pas toujours les mêmes doigts de la main pour montrer 3 ou 4.

De la même façon que le comptage dénombrement s’installe lorsque la double signification du dernier mot-nombre prononcé est en place, la diversité des collections-témoins utilisées va permettre à l’enfant de dépasser l’image unique qui peut être vide de sens numérique.

Etablir des liaisons entre le dernier mot-nombre prononcé à l’issue d’un comptage et des collections-témoins, c’est une première façon de contrôler si ce mot-nombre est véritablement un nombre ou encore un numéro. Un autre prolongement de ce comptage est de travailler ensuite sur les décompositions de ce nombre.

Décomposer les nombres, vers le calcul mental à l’envers

L’enfant capable de montrer avec des regroupements d’objets et de verbaliser que quatre objets, c’est aussi deux et deux mais aussi un et un et un et un, et encore trois et un, cet enfant-là commence à rentrer dans l’univers des nombres. Le numéro est dépassé. Des décompositions suivies de recompositions complètent le comptage et les images des collections-témoins et permettent de rentrer au cœur du nombre.

Ces décompositions-recompositions sont les prémisses du calcul à l’envers. Pour un enfant, présenter cinq objets en un paquet de quatre et un paquet de un ou un paquet de trois et un paquet de deux, c’est déjà un acte de création.

C’est un acte réfléchi qui se distingue de l’acte rituel du comptage mais qui est en fait très complémentaire. Les différentes décompositions mises au jour d’un nombre sont les premiers allers-retours entre calcul direct et calcul à l’envers. Ils vont permettre d’installer le principe de l’unicité dans le sens direct et d’une multiplicité de chemins dans la pratique à l’envers. Le croisement de ces approches (comptage, collections-témoins et décompositions) donne de l’épaisseur au nombre. Il est créateur de sens du nombre et déjà du sens de l’addition puisqu’on est aux portes des décompositions additives.

Comptage, collections témoins, décompositions – trois approches complémentaires

Il faut tendre vers un bon équilibre de ces trois approches qui sont très complémentaires. De plus, en faisant vivre cette pluralité du nombre, cela donne à chaque enfant des portes d’entrée différentes dans l’univers complexes des nombres.

  • Le caractère rituel du comptage avec récitation de la comptine numérique enrichi d’images et de décompositions-recompositions conviendra à l’enfant qui a besoin d’un cadre sécurisant.
  • Un autre enfant plus visuel rentrera plus facilement dans l’univers des nombres avec l’apport des collections-témoins consolidées par du comptage et des décompositions-recompositions.
  • Enfin, l’enfant attiré par les jeux d’association, les exercices demandant une aisance mentale ou des capacités d’abstraction, s’épanouira avec les décompositions-recompositions qu’il complétera par l’apport du comptage et des collections-témoins.

En complément, la manipulation de solides de formes, de tailles et de couleurs différentes, pratiques développées sous l’ère piagétienne, ne pourra qu’enrichir cette construction plurielle du nombre par un apport logique accentué.

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