Les secrets de notre cerveau avec les nombres
Dans la vie quotidienne, notre relation avec les nombres est plurielle. Intuitivement, on se rend bien compte que le cerveau n’est pas sollicité de la même façon pour effectuer 7×8 ou 89×12, estimer le poids d’un colis ou comparer la distance Terre-Soleil avec la distance Terre-Lune, analyser l’évolution du PIB en %.
Notre culture numérique conjuguée avec l’image des mathématiques, science exacte, nous pousse vers le résultat exact, la réponse magique, au détriment parfois d’un résultat approximatif. Le résultat mental exact et rapide de 89×12 est difficile, par contre chacun devrait l’analyser comme proche de 100×10 donc 1000. Nous avons beaucoup à apprendre sur le fonctionnement de notre cerveau dans cette relation avec les nombres.
Neurosciences et pédagogie des maths
Deux zones du cerveau pour les maths
Les connaissances en imagerie médicale ont fait un bond en avant ces dernières années. Stanislas Dehaene l’explique très bien dans « La bosse des maths », nous découvrons des zones dans le cerveau qui nous permettent de mieux comprendre notre fonctionnement dans notre relation avec les nombres. Les neurosciences et leurs prolongements pédagogiques se développent, on est au début de l’histoire.
Une des grandes découvertes de ces dernières années est la mise en évidence de deux zones bien distinctes du cerveau lorsque nous sommes en relation avec les nombres. Il est désormais acquis qu’une zone cérébrale située dans les deux lobes pariétaux droit et gauche (hIPS), est activée pour toute sollicitation numérique. Stanislas Dehaene la qualifie de « zone de la numérosité », une sorte de noyau universel de représentation des quantités. Elle est commune à tous et à toutes les cultures. C’est la zone du sens du nombre. Particularité étonnante, elle fonctionne sur un modèle continu et non discret.
La 2ème zone, appelée gyrus angulaire, est localisée dans l’hémisphère gauche. Elle correspond aux apprentissages scolaires et aux stratégies apprises. C’est dans cette partie du cerveau que chacun développe et stocke sa partie automatisée, un peu à l’image du disque dur d’un ordinateur.
L’idée selon laquelle le cerveau se mobilise différemment suivant le type de sollicitation numérique n’est pas vraiment surprenante. Dans notre relation intime avec les nombres, on ressent bien intuitivement que le traitement d’un nombre par le cerveau est totalement différent selon que ce nombre est abordé sous son aspect ordinal ou cardinal. En effet, le tri, le rangement, la comparaison ou la perception globale et approximative d’une quantité n’ont pas grand-chose de commun avec un résultat automatisé de tables ou un calcul de pourcentage.
Exemple de relation aux nombres par notre cerveau
Imaginons qu’on cherche à déterminer un ordre de grandeur d’une collection importante d’objets que l’on a devant soi : une boîte d’allumettes qui s’ouvre et tombe, l’illustre bien. Sans comptage, tout individu est capable d’évaluer approximativement si il y a 20 ou 50 ou 100 allumettes. Par contre, il est incapable de préciser si il y en a 23, 47 ou 103.
Le discret, bien caractérisé par l’allumette, s’efface derrière le continu symbolisé par la vision globale. C’est dans cette région du cerveau que se construit notre relation aux nombres, la perception des quantités et le lien avec le nombre associé, les ordres de grandeur, la notion de comparaison et de rangement.
La notion d’ordre de grandeur est un domaine où l’on peut régulièrement constater cette difficulté à donner du sens aux nombres. Chacun a déjà vécu ces exemples classiques d’élèves qui, emportés par l’élan de techniques opératoires correctement maîtrisées, répondent que le prix d’un litre de lait est 258 € ou que la longueur de la maison est 254 m ou même que le panier de pommes pèsent 789 kg. Parfois, l’absence ou le manque de culture et de vécu concernant une grandeur peut avoir une grande importance.
Cependant, cela traduit aussi un défaut de sens des nombres qui illustre un manque de sollicitation de la zone de la numérosité ou peut-être un manque de relations entre les deux zones. Notre culture éducative nous pousse globalement vers l’attente d’un résultat exact. La conséquence est immanquablement une prédominance des techniques au détriment du sens.
Le développement de l’innumérisme est peut-être dû à la conjugaison d’une diminution des pratiques mentales en classe accentuée par un défaut de liaison entre les deux zones du cerveau. La clé d’une relation numérique équilibrée et apaisée, donnant un véritable sens aux nombres puis aux opérations, réside certainement dans une sollicitation et une liaison régulières entre ces deux zones.