Distinguer calcul mental automatisé et calcul mental réfléchi

Pour lui donner du sens, la distinction entre calcul mental automatisé et calcul mental réfléchi doit être ressentie. C’est parti, on fait chauffer les neurones.

Dans mon billet sur les types de calcul mental, j’ai présenté le calcul mental automatisé et le calcul mental réfléchi. Pour mieux les appréhender, voici quelques exemples qui vous permettront de bien les différencier.

La limite entre partie automatisée et partie réfléchie n’est pas clairement définie, c’est une zone. De plus, elle est variable d’un individu à l’autre et surtout évolutive. Elle est fonction de notre relation aux nombres, du passé scolaire, de l’attirance ou non envers les nombres, du plaisir que l’on prend en jonglant avec les nombres, du vécu professionnel… Certaines professions comme comptable ou banquier imposent une relation permanente aux nombres. D’autres professions, très peu.

Il est intéressant pour chacun d’entre nous de situer approximativement sa propre limite entre calcul automatisé et calcul réfléchi. Voici, pour chacune des quatre opérations, une liste de 6 calculs :

+ x :
4 + 1 6 – 1 5 x 2 10 : 2
6 + 4 19 – 7 7 x 8 100 : 4
32 + 18 100 – 40 15 x 10 63 : 7
250 + 650 37 – 22 6 x 15 17200 : 100
127 + 90 260 – 115 6 x 17 95 : 5
774 + 389 774 – 389 39 x 102 972 : 27

Votre limite entre automatisé et réfléchi se situe à l’endroit où la réponse n’est plus immédiate, avec une marge de quelques dixièmes de secondes tout de même ! Le caractère évolutif de cette frontière se fait bien sentir puisque cette limite sera très différente suivant qu’il s’agit d’un adulte ou d’un enfant en cours d’apprentissage numérique.

A moins de faire partie d’une catégorie proche des calculateurs prodiges et d’avoir des automatismes impressionnants, les quatre dernières opérations 774 + 389, 774 – 389, 39×102 et 972:27 font partie du calcul mental réfléchi. Des choix et des stratégies sont nécessaires pour obtenir mentalement le résultat.

C’est tout l’intérêt du calcul mental réfléchi, comparer différents chemins pour se rendre compte que certains choix sont plus judicieux que d’autres notamment en terme de rapidité et d’efficacité. C’est l’occasion de mettre en pratique les propriétés des opérations (commutativité, associativité, distributivité) et la décomposition des nombres.

Il faut cependant relativiser la pertinence d’un choix par rapport à un autre dans la mesure où ce choix est fonction de sa propre partie automatisée et qu’il n’est pas toujours transférable d’un individu à un autre. Cet équilibre entre partie automatisée et partie réfléchie est variable d’un individu à l’autre.

Pour un élève, c’est encore différent car c’est un chantier permanent. La ligne de partage entre les deux parties est en constante modification. En effet, le calcul réfléchi travaillé à un niveau donné est appelé à devenir en partie automatisé au niveau suivant. L’apprentissage des tables de multiplication illustre bien cette situation.

Quelle ligne de partage automatisée-réfléchie pour un élève de l’école primaire ?

Voici une liste d’opérations incluant les quatre opérations avec la ligne de partage attendue entre le calcul mental automatisé et le calcul mental réfléchi en fin de cycle 2 (fin CE1) et en fin de cycle 3 (fin CM2).

Ces limites sont définies à la lecture des programmes de mathématiques du primaire. Elles ne sont pas absolues, un élève à l’aise dépassera ces limites alors qu’un autre en difficulté, sera en retard dans une ou plusieurs opérations. Ce sont des performances moyennes.

+ x :
7 + 3 10 – 4 2 x 9 La moitié de 10
15 + 5 20 – 5 4 x 5 20 : 5
25 + 10 100 – 20 7 x 8 42 : 6
127 + 100 50 – 16 37 x 100 1700 : 100
32 + 18 930 – 240 6 x 15 80 : 5
143 + 78 143 – 78 45 x 30 225 : 15

Légende : automatisé fin cycle 2 (CE1) et automatisé fin cycle 3 (CM2)

Analyse plus fine d’un exemple pour un élève de fin de CE1

Comment effectuer mentalement 45 + 17 pour un élève de CP ou CE1 ?

  • Recomptage
  • Surcomptage : en partant de 45 et en ajoutant 17 un par un jusqu’à 62
  • 45 + 10 + 7 = 55 + 7 = 62 avec la décomposition 17 = 10 + 7
  • 45 + 5 + 12 = 50 + 12 = 62 avec la décomposition 17 = 5 + 12
  • 45 + 15 + 2 = 60 + 2 = 62 avec la décomposition 17 = 15 + 2
  • 45 + 20 – 3 = 65 – 3 = 62 avec la décomposition 17 = 20 – 3
  • 50 – 5 + 17 = 67 – 5 = 62 avec la décomposition 45 = 50 – 5
  • 2 + 43 + 17 = 2 + 60 = 62 avec la décomposition 45 = 2 + 43
  • 40 + 5 + 10 + 7 = 50 + 5 + 7 = 62 avec les décompositions 45 = 40 + 5 et 17 = 10 + 7
  • 50 – 5 + 20 – 3 = 70 – 5 – 3 = 62 avec les décompositions 45 = 50 – 5 et 17 = 20 – 3

Au-delà de l’analyse de la pertinence de l’une ou l’autre de ces stratégies, l’intérêt réside dans la diversité des chemins. Lors d’une séquence en classe, le but n’est pas de tout lister mais d’en choisir quelques-unes de façon à mettre en lumière différentes décompositions et quelques propriétés opératoires.

Analyse plus fine d’un exemple pour un élève de fin de primaire

Comment effectuer mentalement   6×15 pour un élève de CM ?

En fin de primaire, quelques élèves peuvent avoir automatisés 6×15. Pour la plupart des élèves, 6×15 est un calcul qui nécessite la recherche d’un chemin pour trouver le résultat. Quelques exemples de ces chemins accompagnés de commentaires :

    • 15 + 15 + 15 + 15 + 15 + 15

C’est le retour à la définition de la multiplication.

    • 6+6+6+6+6+6+6+6+6+6+6+6+6+6+6

C’est un retour à la définition avec application de la commutativité.

Le calcul mental avec des nombres purs, c’est-à-dire sans unités, se prête bien à la découverte et à la manipulation des propriétés des structures algébriques des nombres. 6×15 = 15×6 traduit la commutativité de la multiplication, propriété aussi de l’addition mais pas des opérations contraires.

Il est à noter que la commutativité pose un problème de sens lorsque les calculs sont effectués sur des grandeurs. Si j’achète 3 kg de viande à 10,50€ le kg, je devrai payer 3×10,50 soit 31,50€. 3×10,50 est bien égal à 10,50×3 mais il n’est pas évident d’accepter l’idée qu’acheter 3 kg à 10,50€ le kg me coûtera le même prix qu’acheter 10,50 kg à 3€ le kg !

L’échange de place entre le multiplicande, le nombre qui est multiplié et le multiplicateur, le nombre de fois que l’on répète le multiplicande, ne pose pas de problème avec des nombres purs. En revanche, il est plus difficile de donner du sens à cette commutativité avec des grandeurs. Il faut éviter d’appliquer la commutativité avec des grandeurs puisque chacun des deux facteurs ne jouent pas le même rôle.

      • (2×15) + (2×15) + (2×15) soit 3x(2×15)

Cette stratégie est applicable pour celui qui a automatisé que 2×15 = 30. Elle utilise la décomposition de 6 en trois paquets de 2.

      • (3×15) + (3×15) soit 2x(3×15)

Cette stratégie est applicable pour celui qui a automatisé que 3×15 = 45. Elle utilise la décomposition de 6 en deux paquets de 3.

      • (6×10) + (6×5)

Cette stratégie est basée sur l’idée que 6 paquets de 15, c’est la même chose que 6 paquets de 10 et 6 paquets de 5.

Mathématiquement, il s’agit de la distributivité de la multiplication par rapport à l’addition. Cette propriété est beaucoup utilisée en calcul mental notamment pour multiplier des nombres proches d’une dizaine comme 11, 12, 13, 21, 22… ou 18, 19, 28… avec la soustraction. La manipulation mentale de cette propriété est une excellente préparation à la distributivité en calcul littéral que l’élève retrouvera quelques années plus tard.

      • (6×10) + (6×10):2

Cette stratégie est très proche de la précédente avec une astuce mentale supplémentaire qui consiste, pour multiplier par 5, à multiplier par 10 puis à diviser par 2.

      • 6x5x3 soit 30×3

Cette stratégie utilise la décomposition multiplicative d’un des facteurs, ici 15 = 5×3. Lorsqu’elle est possible, cette technique mentale est très efficace. Elle est peu utilisée car nos habitudes, notre culture numérique nous pousse plus vers les décompositions additives et vers la distributivité.

L’intérêt pédagogique réside dans la pluralité des chemins

Pour les deux exemples 6×15 et 45+17, c’est la diversité et la richesse des chemins qu’il est intéressant d’analyser pour éventuellement faire ressortir une ou plusieurs stratégies après une analyse comparative. C’est là, tout l’intérêt de la pratique à l’oral en classe du calcul mental réfléchi. Cette pratique est possible dès le cycle 1 et jusqu’au lycée. Il suffit de bien choisir les situations de calcul en les adaptant au niveau du groupe.

Au-delà du sens et de l’entretien des automatismes, cet exercice collectif avec éventuellement une trace écrite bilan, est une forme de résolution de problème et permet de pratiquer un véritable raisonnement mathématique. Par les échanges qu’il suscite, il a aussi une dimension sociale et permet l’apprentissage par l’écoute des autres, tout un programme.

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1 réponse

  1. 14 septembre 2019

    […] en rentrant, paf, je tombe sur l’article d’Eric Trouillot exactement sur ce thème. Il est très intéressant à lire, en particulier grâce aux exemples […]

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