Jeu et nombres, une association pas toujours évidente

Jeu et nombres, termes antinomiques pour certains et proximité naturelle pour d’autres. Cette perception qui est de l’ordre du ressenti immédiat est d’ordre culturel.

NombresCroises

Pour le comprendre, il suffit d’observer notre relation aux lettres. Le jeu à base de lettres est pratiqué par des millions de français : mots croisés, mots fléchés, mots mêlés ainsi que de nombreux jeux de société tels Scrabble©. Cette pratique est installée depuis des décennies et fait désormais partie de notre patrimoine ludique. Et pourtant des grilles équivalentes aux grilles de lettres existent dans l’univers des nombres. Mais combien d’adeptes des grilles de nombres croisés en France ? En comparaison du nombre de cruciverbistes, c’est infime !

L’explication est culturelle. Notre rapport aux nombres est globalement scolaire et difficile. Le jeu y trouve difficilement sa place. Notre rapport aux lettres est « normal », apaisé, le jeu trouve donc naturellement sa place. Peut-être que le jeu a contribué à établir cette relation ludique ?

Le jeu symbolise l’évasion avec l’ouverture d’une parenthèse spatio-temporelle. Repli par fuite du réel pour certains et, au contraire, ouverture par l’élargissement du cadre réel pour d’autres. Une chose est sûre, c’est un changement total de cadre avec de nouvelles règles de lecture qui modifient totalement la perception : c’est une nouvelle réalité.

Le dé et la carte, supports favoris

Les cartes à jouer sont plus récentes que les dés. Arrivées en Europe au XIV ème siècle avec les échanges avec l’Orient, les premières cartes sont indiennes et chinoises et remontent à 700 de notre ère. Leur installation en Europe correspond à l’apparition du développement des techniques d’imprimerie. La carte est un support qui permet de faire vivre le nombre à plat, en dimension 2. Elle ne donne pas de forme, de corps au nombre. Contrairement au dé qui est présent dans l’histoire des hommes depuis l’Egypte antique.

Quelle est l’histoire du dé ?

Depuis 5000 ans environ, l’homme joue et utilise le dé comme médiateur avec le concept. Le dé a été très tôt un générateur aléatoire de nombre entier de petite taille. La particularité du dé est d’être un des rares objets en dimension 3 à donner une forme au nombre. Le dé est dans notre monde, il permet une relation tactile avec les nombres.

Le caractère aléatoire qu’apporte le jet du dé donne l’impression de voir rouler les nombres, c’est le nombre en mouvement, dynamique et cela ajoute une touche de magie et de mystère qui explique l’extraordinaire attrait des enfants pour le dé. Toutes ces caractéristiques constituent les fondements qui donnent au dé le statut d’outil pédagogique dans le domaine numérique.

Osselets

Les premiers dés de l’Histoire ont quatre faces et proviennent de l’utilisation d’un os du mouton : l’astragale. On en a retrouvé daté de plus de 4000 ans av. JC. L’astragale est l’ancêtre du tétraèdre, le solide à quatre faces. Les osselets ont suivi puis le cube mais environ 2000 ans après. C’est aux grecs que l’on doit la convention, toujours d’actualité, qui fixe la somme des deux nombres opposés d’un dé cubique à 7.

Senet

C’est aux égyptiens que l’on doit les premiers jeux de parcours, notamment le Senet (-2500 av JC) qui utilise un dé pour se déplacer le long du parcours constitué de 30 cases. Les trois autres polyèdres réguliers à huit, douze et vingt faces ont été mis au jour par l’école grecque dans la recherche des différents solides équilibrés qualifiés aujourd’hui de solides équiprobables.

 

Les cinq solides de Platon, le symbole grec de la perfection

5SolidesPlaton

  • Le tétraèdre, avec ses quatre faces triangulaires identiques et ses quatre sommets, représentait le feu.
  • Le cube, avec ses six faces carrées identiques et ses huit sommets, représentait la terre.
  • L’octaèdre, avec ses huit faces triangulaires identiques et ses six sommets, représentait l’air.
  • L’icosaèdre, avec ses vingt faces triangulaires identiques et ses douze sommets, représentait l’eau
  • et enfin, le dodécaèdre, avec ses douze faces pentagonales identiques et ses vingt sommets, symbolisait l’univers.

Ce sont les seuls solides polyédriques réguliers et convexes possibles.

 

Le problème du Chevalier de Méré où comment les dés ont contribué à la naissance des probabilités

L’apparition des cartes à jouer au XVème siècle a fortement concurrencé les dés qui étaient très présents dans les cours royales européennes. Mais ces derniers sont restés les supports favoris pour les jeux de pari avec argent.

La fonction de générateur aléatoire du dé est à l’origine de problèmes célèbres qui ont été des moteurs dans la construction de la théorie des probabilités. De nombreux échanges épistolaires aux XVIème et XVIIème siècles en témoignent. Cardan, Galilée, Pascal, Fermat et d’autres se sont intéressés aux calculs permettant d’établir les chances de gagner aux jeux de hasard.

Un exemple célèbre appelé parfois problème du chevalier de Méré, a donné lieu à de nombreux échanges : lorsqu’on lance trois dés cubiques, on calcule la somme des trois nombres obtenus. Les sommes possibles vont de 3 à 18. Les joueurs pariaient de l’argent sur une somme. On s’est vite rendu compte à l’époque que certaines sommes étaient à éviter par rapport à d’autres. Mais pour des cas plus fins, il a fallu poser les prémisses des probabilités pour établir par exemple que la somme 10 apparaît plus souvent que la somme 9. Et pourtant ces deux sommes ont le même nombre de décompositions en somme de trois entiers. En effet, 9 = 6+2+1 = 5+3+1 = 5+2+2 = 4+4+1 = 4+3+2 = 3+3+3 et 10 = 6+3+1 = 6+2+2 = 5+4+1 = 5+3+2 = 4+4+2 = 4+3+3. Les sommes 9 et 10 ont donc six décompositions chacune.

La subtilité du raisonnement réside ensuite dans le fait qu’une somme décomposée avec trois nombres égaux ne renvoit que sur un lancée des trois dés alors qu’une somme décomposée avec trois nombres différents renvoit sur six lancers possibles des trois dés et qu’une somme décomposée avec deux nombres égaux parmi les trois nombres renvoit sur trois lancers possibles des trois dés. Au final, lorsqu’on lance trois dés cubiques la somme de 9 s’obtient de 25 façons différentes alors que la somme de 10 s’obtient de 27 façons différentes. Voilà pourquoi les joueurs se sont rendu compte qu’il fallait mieux parier sur le 10 que sur le 9 !

ArgentDésAu cours de l’Histoire, les jeux de pari et d’argent avec des dés ont toujours suscité un engouement très fort. Ils ont provoqué de nombreuses tentatives de réglementation et même d’interdiction notamment par l’église catholique, sans succès. Ces jeux de pari et d’argent existent dans toutes les civilisations. Pendant très longtemps, les dés étaient un des supports favoris. Ils ont traversé l’histoire en gardant toujours une place centrale dans les jeux. Ils restent, encore aujourd’hui, le générateur aléatoire de nombres favori des enfants. Aujourd’hui, le poker, les machines à sous, internet sont très en vogue. Et demain ?

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