Le rapport Villani vu par Eric Trouillot
À l’occasion de la publication du rapport « 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques », je vous propose un zoom sur quelques recommandations et citations de ce rapport en ce qui concerne le calcul mental et les jeux !
À propos du calcul, l’orientation proposée est bonne ! Il est bien précisé qu’il faut essayer de trouver dans l’enseignement un équilibre entre les différentes modalités de calcul et la notion de jeu mais également que la dimension mentale est essentielle pour construire une véritable relation avec les nombres et les opérations. La notion de plaisir et son importance dans les apprentissages sont aussi clairement évoquées dans le rapport, notamment en lien avec la construction de ce sens des nombres et des opérations.
Le calcul doit être vu comme un jeu sur les nombres, il doit donc être présenté comme tel dès les petites classes dans des tâches variées faisant la part belle à cette dimension ludique. (page 27)
Les modalités de développement des capacités calculatoires sont diverses et complémentaires (le calcul mental, en ligne, posé, écrit, approché et instrumenté). Toutefois le calcul mental reste une modalité insuffisamment travaillée à l’école primaire (notamment par rapport aux pays asiatiques) et au collège. (page 27)
Concernant la place du travail sur les automatismes, la tonalité de ce rapport est intéressante. Il est bien expliqué que les automatismes ne sont pas une fin en soi mais plutôt un bagage nécessaire à tout élève afin de pouvoir pratiquer des mathématiques plus complexes.
On en est ainsi arrivé parfois à la disparition complète d’activités d’ancrage, de «gammes ou d’échauffements » pourtant indispensables. Des rituels de calcul permettent pourtant de faire fonctionner et de stabiliser les connaissances, les méthodes et les stratégies. Les activités routinières de calcul permettent de gagner de l’aisance, de la fluidité, de la flexibilité, d’acquérir des automatismes (destinés à libérer la charge cognitive et la mémoire de travail). Avec un peu d’entraînement, les élèves réussissent ce type d’activités, ce qui développe leur plaisir à faire des mathématiques et les aide à progresser. (page 28)
Il est souvent question de « donner du sens » au calcul mais il ne faut pas oublier que le calcul est porteur de sens en lui-même. Il est même « donneur de sens » puisque la construction du nombre dans les petites classes passe par des activités ludiques variées et que ces jeux sur les nombres sont l’essence même du calcul. (page 29)
Cette automatisation ne doit pas être interprétée de manière mécaniste, elle permet de libérer la pensée de charges cognitives pour son émancipation, tout en facilitant des représentations mentales propices à la résolution de problèmes. (page 29)
Le jeu en bonne place ! Souvent cité dans le rapport, il est vraiment considéré comme un outil pédagogique à part entière. Le jeu est présenté comme un excellent outil pour pratiquer le calcul et notamment la décomposition-recomposition. C’est en effet essentiel de jouer sur la décomposition des nombres. Les nombres sont un peu comme les hommes, ils n’existent que par les relations qu’ils tissent entre eux, grâce aux quatre opérations. Et surtout, le jeu apporte la dimension plaisir indispensable pour construire des connaissances dans la durée, avec l’envie d’y revenir et d’approfondir le sujet. D’ailleurs, l’équipe Mathador de Canopé se réjouit que Mathador soit cité dans le rapport, page 30, comme un exemple de jeu adapté pour le calcul mental !
En travaillant les fondamentaux par une approche différente, le jeu contribue lui aussi à la formation mathématique des élèves. Les jeux traditionnels (comme les échecs), les jeux à règles (jeux de cartes, jeux de plateaux pour les petites classes, jeux de l’oie, etc.) et les jeux de construction stimulent le raisonnement logique et contribuent à créer ou restaurer le plaisir de faire des mathématiques (pour l’élève comme pour son professeur). Tous ces jeux sont d’excellents outils pour décomposer-composer les nombres, et pratiquer le raisonnement, mais ne sont pas assez utilisés ; (page 58)
Le rapport évoque également l’importance des clubs de maths au sein des établissements scolaires pour donner l’envie, dans un cadre différent, de pratiquer des mathématiques, juste pour le plaisir. Le périscolaire est un espace de liberté, permettant d’avoir une approche non scolaire des concepts, avec du temps pour construire les choses autrement. Cependant il ne gomme pas les efforts nécessaires à leur maîtrise. Le plaisir que le résultat procure rend l’effort acceptable, comme dans un club de sport, de musique ou de théâtre. « Des mathématiques sans pleurs, c’est possible, mais sans sueur, ça ne l’est pas ! » pourrait-on dire, comme en témoigne la participation, pendant les vacances, de dizaines de jeunes à des clubs très exigeants de préparation aux concours internationaux, pour le plaisir de chercher et de trouver. (page 65)
Pour que ce rapport ne reste pas juste un catalogue de bonnes intentions, il faudrait qu’il soit suivi de décisions fortes. L’une d’elle pourrait être la création d’une heure de décharge dans chaque collège et lycée pour l’enseignant qui accepte de piloter ce club maths. Et les missions ne manquent pas : l’organisation pratique des différents concours individuels type Kangourou ou Lewis Carroll (liste des inscrits en contactant tous les collègues, prévoir les salles avec la direction, trouver des collègues pour la surveillance, réceptionner et préparer l’épreuve, puis renvoyer les productions…), l’organisation pratique des rallyes et des épreuves de jeux mathématiques pour les classes (panoramath recense tous les championnats et rallyes mathématiques et ils sont très nombreux). Le club jeux mathématiques est un endroit, où une fois par semaine, les élèves vont pouvoir jouer avec les mathématiques. Les formes peuvent être diverses et variées : tester des jeux de société, rechercher des énigmes de rallyes, participer à des joutes de calcul mental, manipuler du matériel pédagogique, créer des objets géométriques, pratiquer l’origami, …
Enfin, le triptyque « Manipuler, verbaliser, abstraire » est régulièrement mis en avant dans ce rapport. C’est même la recommandation n°6 du rapport page 26. La pratique du jeu rentre bien dans cet enchaînement manipuler, verbaliser puis abstraire. On peut établir un parallèle avec la démarche scientifique. En effet, cela peut s’apparenter à une démarche naturelle qui consiste d’abord à observer, tester, tâtonner, essayer de comprendre, puis à échanger et donc verbaliser avant d’envisager une forme d’institutionnalisation qui s’approchera de l’abstraction. Nous sommes déjà très nombreux à pratiquer ce triptyque qui résume la méthode de Singapour. Je le qualifierais plutôt de philosophie pour enseigner les mathématiques qui s’apparente plus à une synthèse de différentes approches, comme par exemple Montessori. Une précision concernant « manipuler », qu’il faut prendre au sens large et pas uniquement tactile. Par exemple, lorsqu’on teste ou tatônne avec des nombres en jonglant avec les quatre opérations et les ordres de grandeur, on est dans la manipulation, pas concrète, mais mentale. Ce triptyque « manipuler, verbaliser, abstraire », c’est un peu l’inversion du paradigme de la méthode des maths modernes, qui plaçaient l’abstraction au cœur et au départ de l’enseignement d’une notion mathématique avec l’idée que les applications suivraient trivialement. Il nous aura fallu quelques décennies pour remettre un peu de bon sens. Je veux rester optimiste et penser qu’il en faudra moins pour généraliser ces bonnes résolutions.
En conclusion, inspirons-nous de cette démarche, et essayons de la mettre en pratique le plus souvent possible !On ne pourra cependant pas éviter le débat sur la taille des classes qui est un des freins majeurs à sa mise en application car il est bien évident que la manipulation et la verbalisation avec des groupes de 30 élèves relève de l’exploit pédagogique…