Mathador au service de la recherche en calcul mental
Dans un récent article intitulé « Reconsidering conceptual knowledge : heterogeneity of its components » (Repenser les connaissances conceptuelles : l’hétérogénéité de leurs composantes) publié dans la revue américaine Journal of Experimental Child Psychology, une équipe scientifique composée de chercheurs du Laboratoire Paragraphe (Université Paris 8) et du laboratoire Cedric du Cnam (Conservatoire national des arts et métiers), s’est appuyée sur Mathador pour étudier certains mécanismes d’apprentissage du calcul mental chez les enfants.
L’équipe Mathador vous dresse les grandes lignes de leur découverte !
Contexte de l’étude
Amorcé en 2016, le projet « un Territoire calculant en Bourgogne Franche Comté » a fédéré 75 classes (du CM1 à la 6ème) autour de la recherche en calcul mental. L’expérimentation poursuivait un double objectif : mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’apprentissage du calcul mental et essayer de dégager des profils de « calculants ».
Dans cette expérimentation, Sébastien Puma, chercheur en psychologie cognitive du laboratoire Paragraphe et ses collègues se sont attachés à étudier les modes de résolution des épreuves Mathador par les élèves, en exploitant leurs données de jeu.
« Le développement des compétences en arithmétique reposent généralement sur deux types de connaissance » expliquent-ils dans leur article : « les connaissances conceptuelles (la capacité à comprendre un concept) et les connaissances procédurales (la capacité à réaliser correctement des routines mathématiques). Les connaissances conceptuelles […] permettent de comprendre pourquoi et comment les opérations et la résolution de problème suivent certaines règles et produisent certains résultats. ».
Mathador : calcul, jeu et connaissance conceptuelle
Dans cette étude, l’équipe scientifique a étudié comment les enfants de cycle 3 (CM1, CM2, 6ème) mettaient ou non en oeuvre quatre des six principes qualifiés de connaissances conceptuelles (principes d’identité, négativité, commutativité et inversion) pour résoudre des épreuves du jeu Mathador (trouver un nombre cible à partir de 5 nombres outils et de 4 opérateurs).
Scientifiquement, les cognitivistes définissent ces quatre principes comme suit : « Le principe d’identité concerne toutes les opérations et implique de comprendre qu’un nombre reste inchangé lorsqu’on y ajoute ou y soustrait zéro ou qu’on le multiple ou divise par 1. […] Le principe de négativité concerne les soustractions et les divisions et implique de comprendre que soustraire un nombre à lui-même donne zéro et que le diviser par lui-même donne 1. […] La commutativité concerne les additions et les multiplications ; l’ordre dans lequel sont ajoutés ou multipliés les nombres ne modifie pas sa somme ou son produit. […] Le principe d’inversion concerne le fait que l’addition et la soustraction d’une part, et la multiplication et la division d’autre part, sont des opérations opposées. […] ».
Aucune consigne n’était donnée aux élèves par les enseignants en ce qui concerne le recours à ces principes pour la résolution de ces épreuves. Le postulat de départ des chercheurs était donc que :
« si [les élèves] avaient au préalable acquis des connaissances conceptuelles, ils devaient être capable d’appliquer des stratégies de résolution basées sur ces connaissances pour résoudre ces épreuves. ».
Connaissances conceptuelles et opération
Comme le montre la littérature scientifique détaillée par Sébastien Puma, une question cruciale pour la recherche est de savoir si les principes fondamentaux évoqués ci-dessus constituent des connaissances générales, applicables dans d’autres contextes, ou s’ils restent dépendant des opérations dans lesquelles ils ont été acquis.
En d’autres termes, une fois qu’un élève a par exemple compris le principe d’identité avec l’addition (8 + 0 = 8), cela le met-il en position de l’appliquer aux autres opérations et de comprendre que 8 – 0 = 8, que 8 x 1 = 8 et que 8 ÷ 1 = 8 ?
Au terme de plusieurs mois d’analyse de plus de 85 000 calculs Mathador, les chercheurs ont pu constater que chez les élèves, un principe arithmétique connu à propos d’une des quatre opérations n’est pas facilement réutilisable pour les autres. Au contraire précisent-ils, « les données amènent à la conclusion que ces principes semblent être liés à des opérations spécifiques. ».
L’importance de l’enseignement explicite
« La spécificité des connaissances conceptuelles est d’une importance capitale dans l’apprentissage scolaire. […] Même si ces principes peuvent être inférés par l’apprenant à travers leur utilisation récurrente, l’apprentissage de ces principes est favorisé par leur enseignement explicite. ».
Pour les chercheurs, « Le fait qu’enseigner un concept une seule fois sur une seule opération ne soit pas suffisant pour permettre le transfert de ce concept sur les autres, pourrait avoir d’importantes implications en pédagogie. ».
Ils recommandent ainsi d’enseigner explicitement chaque concept dans le cadre de chaque opération, ce qui évitera par exemple aux élèves de devoir découvrir par eux-mêmes les fondements de la multiplication ou la division.
« C’est d’autant plus pertinent lorsque l’on sait que la maîtrise de ces concepts est la base pour développer un fort degré d’expertise dans les calculs arithmétiques associés à ces concepts, ce qui est, en retour, indispensable pour maîtriser des aspects plus complexes des mathématiques. » concluent-ils.
L’étude complète est disponible en anglais jusqu’au 29 Janvier 2023 dans le magazine scientifique en ligne ScienceDirect à cette adresse : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0022096522002168?dgcid=author