Le calcul mental à l’envers pour bien utiliser les zones de notre cerveau

Depuis quelques années, on en sait plus sur la façon dont le cerveau traite les informations numériques et opératoires. S. Dehaene formule l’hypothèse qu’un sens précoce du nombre favorise la compréhension future en arithmétique notamment le sens des opérations, qui à son tour renforce l’acuité numérique.

Dans l’apprentissage des nombres et du calcul, il est important de privilégier des activités qui font interagir les deux zones de notre cerveau. Et si le calcul mental à l’envers était notre solution ?

Dans le billet «Les secrets de notre cerveau avec les nombres», j’ai présenté les deux zones bien mises en évidence grâce à l’imagerie médicale.

  • D’une part, la zone hIPS qualifiée par S.Dehaene de zone de la numérosité : ordre de grandeur, comparaison, rangement, tout ce qui concerne la perception, le sens du nombre.
  • D’autre part, la zone du gyrus angulaire où le cerveau semble stocker tous les résultats appris et les mécanismes opératoires.

Ces deux zones sont en relation potentielle et c’est à nous de les mettre en interaction et à essayer de créer une sorte de cercle vertueux entre ces deux zones.

Quelques exemples concrets

Le calcul de pourcentage

Quel nombre correspond à 80% d’un PIB de 2000 milliards d’euros ?

En appliquant une technique classique de calcul de type règle de trois, avec un passage à l’unité ou un rapport de type 4/5, on peut aisément trouver le résultat en calcul mental soit 1600 milliards d’euros.

Mais ce très grand nombre a-t-il un sens en lui-même ? La réponse est clairement non car ces très grands nombres ne font pas partie de notre environnement familier, nous ne vivons pas avec. Une petite partie de la population manipule les grands nombres. Pour les autres, afin de donner du sens à ce nombre, il faut le mettre en perspective avec d’autres données. Si c’est le cas, il faudra alors ranger, classer et comparer avec recherches d’analogies de façon à mettre ce nombre en perspective, lui donner une identité mentale.

La 1ère partie du travail, le calcul du %, est prise en charge par le gyrus angulaire, ce sont clairement des techniques de calcul. Par contre, la 2ème partie sur le sens du nombre semble renvoyer à la zone hIPS de la numérosité. Voilà un exemple d’interaction entre les deux zones et qui montre la différence de sollicitation du cerveau dans ce traitement numérique.

Le calcul mental à l’envers avec recherche d’un nombre-cible

Comment fabriquer 63 ?

Nous avons vu précédemment de nombreuses décompositions qui permettent de fabriquer 63 : 7×9 ; 6×10+3 ; 7×10-7 ; 8×8-1 ; 3×21 ; 5×12+3 ; 5×13-2 ; 7×8+7 ; 5×11+8 ; 6×11-3 ; 9×8-9 ; 5×14-7 ….

Comment procède-t-on dans une telle situation ? La cible à atteindre est inconsciemment ou consciemment analysée.

Cette analyse peut être très succincte si une procédure ou un résultat est identifié par le cerveau. Suivant sa propre partie automatisée, plusieurs décompositions de la liste ci-dessus peuvent correspondre à cette approche. Dans le cas contraire, une procédure de type tâtonnement avec des tests se met en place. Dans ce bouillonnement mental, une sorte de mélange d’ordre de grandeur, de résultats automatisés connus, de procédures automatisées connues, c’est un raisonnement par analogie car le cerveau va rechercher des modèles, des images en stock. On rentre alors dans un processus d’allers-retours entre sens, techniques, décompositions de nombres, ordre de grandeur… En fonction des connexions qui s’établissent ou non, la démarche sera plus proche du tâtonnement raisonné ou d’une démarche totalement aléatoire. D’où l’importance de la pratique régulière de ce type d’exercices de façon à construire un stock d’images mentales ou de situations mentales disponibles pour le cerveau. La notion d’ordre de grandeur se cache en partie derrière ces albums d’images mentales.

Une hypothèse : le calcul mental à l’envers crée une interaction vertueuse entre les deux zones du cerveau

Je formule l’hypothèse, comme pour l’exemple précédent du pourcentage, que la pratique du calcul mental à l’envers sollicite dans un premier temps la zone de la numérosité. En effet, le questionnement sur cette cible à atteindre renvoie à un problème de sens du nombre. Mon cerveau le connaît-il ? Si oui, comment, sous quelles formes, avec quels résultats ? Le cerveau se lance dans une véritable collecte d’informations qui se rapproche du raisonnement par analogie.

C’est alors que l’on peut imaginer des échanges avec la zone du gyrus angulaire, en quelque sorte la zone de stockage des informations recherchées sur cette cible. Ces allers-retours, que le calcul mental à l’envers suscite, donnent de l’épaisseur, de la consistance aux nombres par les tests, les tentatives abouties ou non de calculs, les décompositions qu’ils provoquent. Cette gymnastique mentale est créatrice de sens du nombre.

Je rencontre fréquemment dans mes classes de 6° des élèves qui arrivent de l’école primaire avec de bonnes capacités en calcul mental direct. Ils ont notamment de bonnes connaissances des résultats des tables de multiplication. Cela signifie qu’à la question « 6×7 », 42 est annoncé rapidement mais qu’à l’inverse la question « 64, c’est quoi ? », débouche sur un long silence. Ces mêmes élèves semblent «perdus» devant une situation de calcul mental à l’envers aussi simple soit-elle. Situation à rapprocher de l’enfant qui commence à compter un, deux, trois, quatre, cinq en pointant son index chaque fois sur l’un des cinq objets devant lui et pour qui le nombre 5 n’évoque rien, ni en terme d’image comme une collection-témoin ni en terme de décomposition.

Ces exemples d’élèves, qui ne sont pas des cas isolés, traduisent une faille dans la construction du sens du nombre. C’est aussi la conséquence d’une culture éducative en calcul qui sollicite trop souvent le calcul direct avec la réponse exacte attendue au détriment de la numérosité soit l’ordre de grandeur ou le sens du nombre.

Je pense qu’il faut rééquilibrer les sollicitations entre ces deux zones du cerveau avec le souci de les mettre en relation et en développant de façon importante la part d’activités mentales axées sur la numérosité.

L’exemple parfait réside dans une pratique équilibrée du calcul mental et du calcul écrit. En effet, le calcul mental nous met en relation avec la globalité du nombre alors que le calcul écrit et posé nous met plus en relation avec les chiffres qui composent le nombre. En effet, les techniques opératoires écrites utilisent du calcul mental mais sur des zones très localisées du nombre.

Par exemple, si je pose 537+299, je commence avec les unités 9+9 puis je passe aux dizaines 9+3 sans oublier la retenue puis je termine avec les centaines 5+2 sans oublier la retenue.Ce travail technique demande attention et concentration et éloigne de la perception globale des deux nombres 537 et 299.

Alors qu’en calcul mental, je vais procéder différemment et intégrer la globalité et donc le sens de ces nombres en procédant par un ajout de 300 à 537 avant de soustraire 1. D’une part, c’est plus simple et d’autre part, en pratiquant de la sorte, je reste en contact avec ces nombres.

D’où l’importance de pratiquer en parallèle calcul écrit et calcul mental avec apprentissage de techniques mentales qui ne reproduisent mentalement les techniques opératoires écrites. C’est une clé pour la construction solide et équilibrée du concept de nombre.

Cette recherche d’équilibre pose en toile de fond la question de la place de l’écrit et du mental dans les apprentissages. De la même façon que trop d’informations tue l’information, trop d’écrit tue l’écrit. Dans cet équilibre mental-écrit, la dimension culturelle est très forte. Pour preuve, les systèmes éducatifs orientaux intègrent de façon beaucoup plus forte les pratiques mentales dans l’enseignement avec notamment la culture du boulier et facilitent par la même la construction du sens du nombre et des opérations. C’est peut-être une des explications des meilleurs résultats dans le domaine des mathématiques de ces pays dans les évaluations internationales.

L’écrit devrait toujours être le prolongement de la pensée, est-ce toujours le cas ?

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2 réponses

  1. Emma dit :

    Bonjour,

    Je suis une formation Montessori et je trouve que l’approche sensorielle dés le plus jeune âge donne un vrai sens. Regardez des exemples sur 1, 10, 100 et 100 vers 4 ans ( présentation du vocabulaire mais aussi sensorielle car l’enfant a une perle dorée pour 1, une barre de 10 perles pour 10, etc ) Et quand on additionne, on apprend que c’est « mettre ensemble » et on le symbolise en mettant des unités, centaines, millieurs ensemble dans un foulard et on s’aperçoit qu’effectivent ensemble ca fait plus « lourd ». Les enfants n’apprennent pas par coeur mais finissent par savoir par coeur table d addition soustraction multiplication division mais surtout savoir retrouver le résultat. Merci pour votre article et j’aimerais savoir ce que vous pensez de mon commentaire. Bien cordialement

    • Bonjour,
      Merci pour votre message.
      Entièrement d’accord avec votre message, tout ce qui peut mettre en lien apprentissage avec les 5 sens, est une bonne chose.
      La plupart des enfants ont besoin de voir, toucher, sentir… pour comprendre puis mémoriser et mettre en lien leurs apprentissages.
      Effectivement, on peut apprendre et retenir sans forcément pratiquer un apprentissage par coeur dénué de sens.
      Par contre, pour bien retenir et rentrer dans la mémoire procédurale à long terme, il doit y avoir régularité et répétition des apprentissages, c’est fondamental.
      C’est en tout cas ce que nous apprennent les neurosciences.
      C’est également un constat dans mes pratiques avec mes classes.
      Bien amicalement,
      eric trouillot

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