« On fait des maths ? » en interview

Cet été, il y avait comme un air de Laurent Voulzy dans le monde des vulgarisateurs mathématiques. Et pour cause, le duo « On fait des maths » nous a proposé une petite anthologie des mathématiciens et mathématiciennes célèbres, le tout en musique. C’est sûr maintenant, on a tous dans l’coeur un mathématicien.

Vous avez sorti une vidéo « maths collection » pour la chaine de Thomath. Pouvez-vous nous parler de ce partenariat. Quelle a été votre implication : avez-vous uniquement collaboré pour une vidéo ?

Nous avions déjà participé à une série collaborative il y a 2 ans :
« l’égalité de Pythou, ça vient d’où ? » ; la même équipe de YouTubers a réalisé la série MMM « Merveilleux Mathématiciennes et Mathématiciens », hébergée sur la chaîne Thomaths. Chaque YouTuber devait réaliser une vidéo présentant un(e) mathématicien(ne) de son choix. Quelques personnes sur les réseaux nous ont demandé si nous allions faire notre présentation en musique. L »idée nous est alors venue de faire un résumé de la série en chanson. Nous avons choisi « Rockollection » qui se prêtait bien à l’exercice.

Nous avons énormément échangé de mails, en particulier avec Eve et Alex (de Thomaths) pour se tenir régulièrement au courant des avancées, et il fallait que l’on ait aussi les infos des autres youtubers : le nom de leur mathématicien choisi et les grandes lignes de ce qu’ils allaient en dire pour que notre texte colle au mieux à leurs vidéos. Et puis, beaucoup de mails aussi car nous avons proposé à Eve de participer à l’enregistrement de la chanson et au clip, il fallait donc réussir à coordonner les prises de son et de vue « à distance ».

Quel accompagnement avez-vous reçu pour la conception de cette vidéo ? Avec quels professeurs / professionnels avez-vous collaboré ?

Nous avons surtout beaucoup travaillé avec le professeur de musique du collège de Cassel, Damien Lamiaux : c’est lui qui a fourni le gros du travail sur les partitions du morceau et qui a travaillé avec les jeunes choristes ; il a aussi géré techniquement l’enregistrement de la chorale de la prise de son définitive. Par ailleurs, nous avons sollicité nos copains musiciens, qui ont d’abord répété les partitions de leur côté avant que nous les enregistrions, à tour de rôle dans notre « studio » « On fait des maths ».

C’est d’ailleurs tous ces moments de travail, d’échanges mais aussi de convivialité et de partage avec les différents intervenants qui rendent la conception de nos projets « en chanson » si appréciable. C’est déjà fantastique de mener à bien le projet d’une chaîne Youtube en binôme plutôt que tout seul, mais quel plaisir quand en plus on arrive à faire participer les copains !

Est-ce vous qui avez choisi les mathématiciens et mathématiciennes présentés dans la chanson ? Si oui, comment s’est opéré ce choix ?

Comme nous avons résumé les mathématiciens de la série, ce sont les choix des YouTubers, pas les nôtres. Ce qui était d’ailleurs un challenge supplémentaire pour l’écriture des paroles : nom et oeuvre de mathématiciens imposés sur des morceaux imposés ! (ceux de Rockcollection version live 93).

Comment avez-vous impliqué vos élèves dans le projet (processus de création et recherches par exemple) ?

Les élèves ne sont pas les nôtres, mais ceux du collège de Cassel ( ndlr : Stéphane et Adrien sont professeurs en lycée), que nous avons l’habitude d’accompagner musicalement tous les ans lors de la fête du collège en fin d’année. Notre choix s’est porté vers eux car on connaissait la qualité de leur travail et de celui de leur professeur de musique, qui de surcroît est un ami de longue date. Et nous sommes également très investis tous les deux dans le monde associatif à Cassel.

Nous n’avions pas le temps d’impliquer totalement les élèves dans la phase de création (les délais étaient très courts, la diffusion de notre épisode était programmée début juin, et nous avions eu les derniers noms de mathématiciens début janvier je crois), mais ils ont été très impliqués dans l’interprétation, les répétitions, et surtout le très beau moment du tournage du clip.

Adrien et Stéphane, dis « On Fait des maths ? »

Vous parlez de certain mathématicien avec poésie ( ex : la lumière du phare d’Alexandrie). En dehors du clin d’oeil à la chanson de Claude François, comme Ada Lovelace, pensez-vous qu’il y ait « une poésie mathématique » ?

C’est une certitude pour nous ! Les mathématiques sont certes utiles, mais cela n’enlève pas pour autant leur part de poésie, d’art. On méconnaît globalement la composante « créativité » des mathématiques. On les réduit souvent à un aspect uniquement calculatoire (cependant indispensable !), ce qui serait comme réduire la littérature aux règles de grammaire et d’orthographe… c’est dommage. Mais il faut bien sûr maîtriser parfaitement une certaine technicité de « bases » pour ensuite pouvoir se laisser happer sans frein par la beauté des mathématiques et en profiter pleinement. Il y a du mal à se donner pour pouvoir en arriver là, comme pour un musicien débutant : avant de prendre le plaisir de faire un concert et de jouer réellement de son instrument, il va devoir beaucoup le travailler, et ce travail peut être ingrat pour de nombreux apprentis, en mathématiques comme en musique… Le grand public qui écoute la radio ou un concert ne s’arrête pas à l’aridité du solfège caché derrière ce concert, il va au-delà, se laisse porter par la beauté du « résultat », alors qu’en maths, beaucoup de monde s’arrête à l’aspect technique souvent rebutant, refusant même de se laisser un peu de temps pour saisir la beauté et la poésie qui peuvent en découler.

Comme le dit Francis Reynès dans sa chanson « Le Tango Elliptique » en s’adressant aux mathématiques :

"Pour t'aborder et pour s'éprendre
Il faut du courage à revendre
(...)
Malgré ton abord austère
Tu donnes à ceux qui persévèrent
Dans la conquête de tes appas
Bien des atouts et bien des joies."

La vidéo est accompagnée d’un questionnaire pédagogique (qui rappelle les questionnaires de compréhension d’œuvre en littérature). Est-ce vous qui l’avez conçu ? Etait-ce une demande de Thomath ? Quel est l’objectif de ce questionnaire ?

Ce n’était pas une demande, c’est nous qui l’avons conçu. Comme pour « C’est les maths », « Révise encore », et « la tristitude mathématique », nous avons souhaité accompagner les chansons d’un questionnaire à destination des enseignants qui voudraient utiliser la chanson avec leur élèves comme support pédagogique. Les enseignants peuvent reprendre le questionnaire et le modeler à leur façon. L’idée est aussi d’expliciter davantage pour les élèves les messages qui sont véhiculés par nos chansons : parfois, pour le rythme du texte ou simplement pour un nombre de vers à respecter, certaines choses peuvent être dites à demi-mot, juste effleurées, et on s’est dit qu’il serait intéressant de voir si les élèves avaient bien saisi tout cela.

La dernière question incite les jeunes filles à « faire des maths ». Quel est votre ressenti par rapport aux élèves de vos classes ?

Dans nos classes (lycée), on ne ressent pas de réelle différence de goût pour les mathématiques selon que l’élève soit fille ou garçon, et, bien évidemment (!), pas de différence d’aptitude selon le sexe ! Par contre, il est vrai que statistiquement, dans la poursuite d’études, il y a davantage de garçons qui choisissent des filières scientifiques. Certains clichés ont probablement encore la vie dure. 
La place des femmes en mathématiques a été compliquée depuis la nuit des temps (pensons à Hypatie, Sophie Germain, et bien d’autres…). Heureusement la pensée n’est plus la même aujourd’hui, mais c’est si récent…il faut du temps avant que les choses se régulent.

En tout cas, de notre côté, quand nous avons tourné le clip, le passage qui a été le plus intense, le plus émouvant, et le plus perturbant pour nous, a été celui sur les femmes, lorsque les collégiennes nous interpellent en nous disant qu’il n’y a pas de nom de femmes dans les théorèmes : lors du tournage de cette séquence, nous avons décelé tous les deux dans l’intensité du regard des collégiennes qu’elles mesuraient pleinement le poids des paroles et l’impact que le couplet pourrait avoir sur les éventuelles auditrices. C’était très fort.

Quels ont été les retours de vos élèves et de vos pairs à la sortie de la vidéo ?
La chanson a été très bien accueillie par les autres YouTubers, et par les internautes en général. Il y a de nombreux commentaires assez émouvants, plusieurs personnes qui nous disent qu’ils sont passés du rire aux larmes en écoutant la chanson, qu’ils ont été surpris d’être émus, que les collégien(ne)s chanteurs/chanteuses sont incroyables (et c’est vrai !). Beaucoup de félicitations aussi sur le texte et les arrangements. Un commentaire souligne même le fait qu’il n’est pas facile de faire une reprise sans que le nouveau texte ne paraisse « gnangnan » ! 🙂
Nous avons eu un message privé de Cédric Villani qui a félicité les collégiens et le beau travail collectif.
Nous avons envoyé le lien à Laurent Voulzy mais n’avons pas eu de retour, c’est dommage, cela aurait été une belle reconnaissance pour les élèves qui ont tellement travaillé sur sa chanson (Caroline Loeb nous avait félicité pour notre reprise de « C’est la ouate », ainsi qu’ Oldelaf pour la « tristitude mathématique »).
Nous aurions aimé aussi que la chanson soit davantage repartagée par la communauté mathématique : elle reste un peu dans un cercle restreint, alors qu’il n’existe pas à notre connaissance de chanson qui raconte la vie de plusieurs mathématicien(ne)s célèbres. C’est quand même extraordinaire de voir des jeunes collégiens raconter la vie de grands mathématiciens en chanson avec tellement de joie et d’enthousiasme ! D’autant que lorsqu’on demande à nos lycéens en début d’année de nous citer un ou deux noms de mathématiciens en dehors de Pythagore et Thalès, la plupart a bien du mal…

Cette collaboration avec Thomaths préfigure-t ‘elle une vulgarisation- présentation des grands mathématiciennes et mathématiciens sur votre chaîne ?

Ce n’est pas prévu. C’était l’objet de la série MMM sur leur chaîne (et c’était super !)

On vous sait profs et musiciens, quels liens entretiennent les maths et la musique ?

Les liens sont nombreux : comme dit précédemment, la musique est belle, la mathématique aussi. Il faut savoir cueillir cette beauté. Notre société nous a laissé percevoir davantage celle de la musique que celle des mathématiques ; ça n’a pas forcément été toujours le cas dans toutes les cultures, les époques ou les et civilisations.
Comme dit également plus haut, en maths comme en musique, la même abnégation est nécessaire, la même rigueur (rigoureux mais pas rigide !), la même curiosité. Le même plaisir quand on a compris quelque chose en mathématiques sur lequel on séchait depuis un moment que celui de voir le morceau de musique prendre forme au fur et à mesure de la création ou l’interprétation. J’avais (Stéphane) un prof d’université qui disait qu’une belle démonstration pouvait être tout aussi émouvante qu’une symphonie de Beethoven !
L’un comme l’autre sont des langages universels…Il y a tellement de similarités !

Il y a une citation de Marcel Bitsch qui était dans un traité d’harmonie de ma (Stéphane) jeunesse et qui m’avait marquée : « la géométrie enseignée artistiquement conviendrait mieux à un musicien que la musique enseignée géométriquement ».

Est-il possible d’avoir une petite exclue sur vos vidéos à venir ? 😊

En premier lieu, poursuivre les tournages et montages de nos épisodes de « la minute Mathador » ! 😉
En dehors de cela, nous avons tellement d’envies et d’idées que c’est surtout le temps qui manque ! Nous aimerions aussi re tourner quelques épisodes de notre série « On fait des maths en balade ». Il y a longtemps que nous n’avons pas non plus publié de vidéos de cours, comme à nos débuts, cela manque un peu.

Nous avons aussi une idée qui nous fait beaucoup envie dans les tiroirs depuis un moment, mais cela doit se préciser et nécessite à nouveau du temps, et on préfère garder la surprise du produit fini 🙂

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