Webinaire : Eric Trouillot répond à vos questions

Eric Trouillot vous propose un retour sur le récent Webinaire du 03 mars organisé par Canopé Besançon sur le thème de l’enseignement du calcul mental avec l’apport du jeu et du numérique.

Deux temps d’échanges s’étaient déroulés pendant cette conférence, mais étant donné le nombre important de professeurs présents, il était impossible dans le temps imparti d’aborder tous les thèmes des questions posées.

Ce billet de blog va permettre à l’inventeur de Mathador de prolonger ces riches échanges et de proposer quelques éléments et pistes complémentaires.

J’ai essayé de regrouper les questions non abordées par thème. Précision importante, les réponses proposées ci-dessous n’engagent que son auteur !

Bonne lecture !

Questions pratiques 

Anonymous : J’utilise très régulièrement des unités de comptage (euros, kilo…). Qu’en pensez-vous ?

Oui, bien sûr, c’est une aide précieuse pour certains élèves qui ont un besoin très fort de liens avec la réalité, c’est une façon de donner du sens. Il est bien de pratiquer les deux, nombres purs et grandeurs.

Claire : A quelle fréquence faut-il travailler le calcul mental réfléchi ? Au cycle 2, combien de temps laisse-t-on aux élèves pour chaque diapo ?

Le calcul mental est à pratiquer quotidiennement, et vous trouverez de nombreuses sources d’inspiration avec des petites situations de la vie de tous les jours, ou avant une résolution de problème pour ressentir les ordres de grandeur. La séance identifiée de calcul mental doit être quotidienne avec en plus, une ou deux fois par semaine, une séquence plus longue d’une situation de calcul mental réfléchi avec échanges, verbalisation et institutionnalisation. Tout cela peut s’intégrer dans des diaporamas, comme présentés dans le webinaire. L’idée étant de se constituer sa progression annuelle de calcul mental avec un équilibre entre tous ces ingrédients, et en gardant toujours à l’esprit le principe de régularité-répétition-verbalisation. Quant à la durée pour chaque diapo, cela dépend de nombreux paramètres, comme par exemple une situation automatisée ou une situation réfléchie qui peut donc varier de quelques secondes à 30 secondes. Chacune connaît son groupe et ses élèves et doit pouvoir déterminer une durée dans laquelle interviendra ce ressenti de terrain.

Bruno : Auriez-vous une progression de calcul mental réfléchi en C2 et C3 comme point d’appui ? Merci

Ce n’est pas pour botter en touche, mais je pense vraiment qu’il n’y a pas une progression type, mais plutôt que c’est à chacun de partir de ses pratiques et de se constituer sa propre progression. Les considérations pratiques sont importantes : équipement matériel, équipement en jeux, niveaux de classe, pratique personnelle… Bien sûr, il est possible de partir d’éléments déjà construits, mais l’équilibre à trouver est forcément une équation personnelle. Entre les manuels d’éditeurs et les  productions intéressantes de collègues sur internet, il y a une grande richesse pour partir d’une base. Vous pouvez vous rendre par exemple dans la rubrique du site de l’APMEP, sur des diaporamas cycle 3 que l’on peut librement télécharger. Je vous invite également à consulter les diaporamas cycles 2 et 3 réalisés par des collègues de la circonscription de Landivisau. Ensuite, et c’est souvent le maillon manquant dans les progressions d’éditeurs ou sur le net, il ne faut pas oublier d’intégrer dans cette progression une part importante de calcul à l’envers avec de la décomposition et des jeux de type Compte est bon, comme j’en présente quelques-uns dans le webinaire.

En maternelle, il y avait Numeriplay en vente sur Canopé mais il n’est plus disponible. Par quoi pouvons-nous le remplacer ?

Tous les jeux, et ils sont nombreux, axés sur l’idée de décomposition sont intéressants, à l’image de ceux présentés dans le webinaire : Shut the box, Détective Mathéo, Trio et Mathador.


Claire
: Comment faire avec les enfants qui ne participent jamais aux temps d’institutionnalisation ?

Un élève peut être présent mentalement sans participer. Pour ceux que l’on entend moins ou pas, les solliciter de temps en temps pour reformuler, en les faisant verbaliser, est une piste. Chacun a sa façon de vivre le groupe, l’important est l’acquisition des connaissances, mais il est vrai que les échanges et la verbalisation dans le cadre du collectif ont une grande importance.

 

Questions de didactique et de culture du calcul mental 

Anonymous : En cycle 1, les élèves peuvent donner la réponse quand ils mettent 8 objets puis 5 objets dans une même boîte. Pour cela, ils manipulent : ils dénombrent. Ce n’est donc plus du calcul. Mais c’est un passage obligé pour parvenir à mémoriser des faits numériques. Ou je me trompe ??

En cycle 1, la frontière entre numération, comptage, dénombrement et calcul n’est pas simple à déterminer. Et faut-il en chercher une ? Je ne suis pas sûr. Si l’on se réfère à ce qu’écrivait le regretté Rémi Brissiaud, il faut même chercher à lier ces composantes apparemment distinctes. En effet, le comptage dénombrement auquel Rémi Brissiaud faisait souvent référence, doit être théâtralisé comme une itération de l’unité, donc un enfant qui effectue un comptage, ou un surcomptage, pour aller de 8 à 13, ne fait qu’ajouter des unités les unes après les autres. Il fait donc du calcul. Je partage totalement cette vision de Rémi Brissiaud, et nous lui devons beaucoup sur la compréhension des premiers apprentissages. Il faut lier le calcul à la numération et au dénombrement, de façon à construire une relation aux nombres et aux premières opérations qui soit basée sur le sens, et faire attention de ne pas enseigner uniquement des numéros, qui eux sont vides de sens.

Anonymous : Sur quoi doit on insister en maternelle GS pour préparer à l’abstraction et au calcul mental ?

Pratiquer de façon très régulière la décomposition des nombres et jouer avec des jeux de décomposition. Décomposer un nombre, c’est être capable de le « casser » et donc de le mettre en relation avec d’autres nombres et des opérations. Si l’on reste sur des activités de comptage ou de pratique de calcul mental classique à l’endroit (une opération, un résultat), de nombreux enfants ne fabriquent pas de sens avec ces activités. Le sens profond du nombre réside très certainement dans la capacité à établir des liens avec d’autres nombres, c’est un peu à l’image de notre cerveau qui est un monde de liaison et de réseaux de neurones. Il faut créer le plus de liaisons possibles entre les nombres pour leur donner du sens, la décomposition et la pratique du à l’envers le permet très bien.

Anonymus : Selon vous peut-on encore continuer à faire la technique opératoire des opérations ?

Véronique Charles : Ne devrait-on pas aborder les techniques opératoires plus tard ?

Claire L. : Question bête : A quoi sert l’apprentissage des techniques opératoires ? si la construction du sens du nombre se fait en calcul mental, et que les « calculatrices » (montres, téléphones…) sont si faciles à avoir dans la vie quotidienne…

C’est une question, qui est tout sauf bête ! Comme je l’explique dans le webinaire, la culture de l’enseignement des techniques opératoires est très fortement ancrée depuis des générations, et a acquis une sorte de statut de marqueur en capacité de calcul. C’est certainement erroné, la maîtrise des techniques opératoires ne signifie pas une bonne maîtrise du sens du nombre et des opérations. Il faudrait d’abord, à l’image des Orientaux, mentaliser fortement cette relation avant de passer ensuite à l’écrit. L’enseignement des techniques opératoires était très important avant les années 70 et jusqu’à l’arrivée des premières calculatrices, car un enfant qui ne savait poser ses opérations ne disposait pas encore d’outils pour le faire à sa place. Aujourd’hui la donne à changer. Il faudrait beaucoup plus insister sur la mentalisation de la relation aux nombres et aux opérations, et minimiser de plus en plus la place des techniques opératoires qui permettent aux élèves d’effectuer des calculs avec des grands nombres, là où le mental est moins performant. Mais depuis que l’on possède de nombreux outils capables d’effectuer ces calculs, tout à changé. De nombreuses additions, soustractions et multiplications ne devraient plus être posées. La technique opératoire de la division en cycle 3 présente l’intérêt de pratiquer toutes les opérations (+ ;- ;x), et notamment mentalement, elle présente donc un intérêt pédagogique. Je pense que le point d’équilibre dans l’enseignement du calcul entre approche mentale et techniques opératoires est petit à petit entrain de se déplacer vers le mental, et c’est très bien. Comme tout changement culturel, cela demande du temps pour s’approprier de nouveaux outils et changer de paradigme, c’est justement un des objectifs de ce webinaire. Les programmes de l’école et du collège sont désormais très clairs sur la place et l’importance des pratiques mentales et particulièrement du calcul mental réfléchi et le récent rapport Villani-Torossian également. Repousser l’enseignement de ces techniques me semble une bonne idée et au minimum, les mettre en place lorsqu’un véritable travail de mentalisation a été effectué de façon à ce que l’écrit retrouve sa place naturelle : un véritable prolongement de la pensée. Dans ce cas, l’écrit peut avoir du sens pour l’élève et servir à stabiliser des acquis mentaux. La devise pourrait être plus de calcul mental et moins de calcul posé, donc moins d’écrit mais mieux et avec plus de sens.

Caille Mariannick : Je suis enseignante en SEGPA et je pratique un peu le calcul mental pour des opérations comme 0,1 + 0,02 = ? Je m’appuie sur le tableau de numération et donc implicitement sur le calcul posé. Comment faire autrement ?

Sandrine : Les élèves ne se mélangent-ils pas écrit (droite/gauche) et calcul mental (gauche/droite)?

Les techniques opératoires formatent nos habitudes calculatoires par une lecture et pratique de droite à gauche (les unités d’abord, puis les dizaines…) et avec des nombres posés en colonne. Il faut essayer de déconstruire cette habitude, car elle contrevient aux principes de base d’écriture et de lecture des nombres, qui va de gauche à droite avec une écriture en ligne. Le registre mental doit se construire de gauche à droite, car il est en connexion avec le langage et l’écriture des nombres. Par exemple, pour additionner 967 et 35. Mentalement, cela donne 900 ou 960 que je vais additionner avec 30 ou 35, j’arrive donc à 995 en 1 ou 2 ou 3 étapes. Puis à 995 , je n’ai plus qu’ajouter 7 et j’obtiens 1002. De nombreux élèves, formatés par les techniques opératoires, commencent par effectuer mentalement 7+5 = 12, puis pose 2 dans leur tête et retienne 1. Puis ils passent aux dizaines et mentalisent 6+3+1 de retenue..etc… C’est très compliqué en gestion mentale et contre-productif en terme de sens, car il n’ y plus de nombres, ni d’ordre de grandeur, mais uniquement des chiffres qui composent les nombres, avec lesquels on calcule. Avec quelques mois, de nouvelles habitudes peuvent se mettre en place. L’idéal est de changer de paradigme et d’installer cette pratique le plus tôt possible dans le parcours scolaire de façon à ne pas avoir besoin de déconstruire par la suite une habitude problématique.

Anonymous : Est-il préférable de mélanger toutes les opérations et tous types de stratégie lors d’une séance ?

Dans un diaporama ou une séance de calcul mental, il est important de diversifier les opérations et les types de calcul mental (automatisé, réfléchi et décomposition), de façon à mettre en scène les liens entre les nombres et les opérations. Sans se l’interdire complètement, ne pas abuser des séances ou diaporamas thématiques avec une opération ou un type de procédure. L’installation et l’automatisation doivent plutôt être la résultante de la régularité avec la répétition et la verbalisation.

Anonymous : Vous parlez des nombres entiers. Qu’en est-il des nombres à virgule ?

Comme les fractions, les nombres décimaux sont des nombres entiers « cassés » ou « fractionnés ». 3,1 est composé du nombre 3 et d’une unité partagé en 10. Et comme chaque unité peut se partager en 10 parties appelées dixième, 3 unités sont donc composées de 30 dixièmes. Et donc 3,1 est composé de 31 dixièmes soit 31/10. Il est donc clair que la construction des décimaux et des fractions doit s’appuyer sur une maîtrise la plus solide possible de l’univers des entiers et des opérations qui les relient.

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